Je… Je me souviens.

L’animation, c’est un peu comme la vie. Parfois, on fait des rencontres qui nous surprennent, nous amenant plus loin que l’expectative première. Dernièrement, c’est ce qui m’est arrivé après avoir vu Kurozuka.

En farfouillant un peu, on peut voir que la fiche d’Anime Kun est assez élogieuse, tandis que certaines review sont plus mitigées (sans parler de ceux qui ont juste mis deux lignes).
Ayant pour principe de passer par pleins de sites pour être sur de ce que je vais regarder, j’ai surtout retenu après recherche que :

1/ Bourrin

2/ Bizarre

3/ Superbe

4/ Et pourquoi pas péter la sainte trinité hein ?

Occultant rapidement le bizarre, je me suis dis qu’un anime bourrin et bien réalisé, ça serait cool. Histoire de se changer des vieux trucs, ou des trucs incompréhensibles.

Alors oui, Kurozuka, c’est bourrin. Enfin, sanglant surtout. Le coté bourrin dans les animes, c’est toujours un peu particulier. Que ce soit par une représentation schématique à grand renforts de TRAITS SURPUISSANTS qui remplissent l’écran histoire de faire bien comprendre que c’est bourrin, ou à coups de GROS BLASTS RAVAGEURS qui cachent eux aussi l’écran, on ne voit pas souvent le bourrin réellement en action.

Il y a pourtant dans Kurozuka une envie claire de faire de l’epic lulz, comme ils disent à côté.

Le pire du pire étant atteint dans l’attaque du château de l’épisode 10 qui cloue littéralement le spectateur à son siège. On se retrouve forcé de rester tout con devant tant de maitrise scénique et de 3D. De la belle 3D en plus (et c’est là qu’on se demande comment Gonzo à pu tomber aussi bas). Il y a une utilisation parcimonieuse des procédés tridimensionnels qui ne viennent pas gâcher chaque plan, et c’est tant mieux, on apprécie d’autant plus.

Superbe. Kurozuka est superbe. Chaque scène, chaque plan, chaque décor, chaque personnage est dessiné à merveille. La composition est excellente, allant taper autant dans le registre purement japonais qu’occidental (Notons rapidement Matrix ou Alien 3).

Et bizarre, il l’est un peu aussi. Il s’agit d’une adaptation du manga éponyme, lui même tiré d’un roman, inspiré quant à lui d’une pièce de Nô, le théâtre japonais. C’est d’ailleurs pour cela que chaque introduction d’épisode est présentée sous forme d’une mini scénette avec une voix d’acteur Nô, ou que le méchant à une tête aussi bizarre.

L’histoire est assez simple. Nous suivons les tribulations de Kuro, un jeune moine du XIIème siècle tombé fou amoureux de Kuromitsu, femme fatale et vénéneuse, accessoirement vampire. Comme l’amour amène invariablement à toutes les conneries les plus monumentales, Kuro décide de lier son destin à Kuromitsu et de devenir un vampire à son tour. Mais hélas, son disciple, le moine Benkei, décide d’intervenir au milieu de leur idylle en lui tranchant majestueusement la tête. Le problème étant que sa transformation vampirique n’est alors pas complète, et Kuro va donc régulièrement oublier son passé à chaque fois qu’il crèvera misérablement suite aux (très) nombreux ennemis de sa belle.

Cela amène à des flashbacks un peu bordélique en premier visionnage, et on se retrouve propulsé dans des passés, parfois connus quant on les voit durant la fin de la seconde guerre mondiale, parfois largués lorsque l’apocalypse se déclenche sur le monde. On a en effet affaire à un anime de style Chambara (Anime de samouraï -> Ninja Scroll, Rurouni Kenshin, Basilisk), mais qui cette fois se passe non pas dans un japon médiéval Edo-Style, mais dans un futur post apocalyptique. Et pourquoi pas, après tout. Le post-apoc est certes un thème souvent traité en SF orientale, mais couplé avec des samouraïs, l’idée est séduisante.  Les flingues et les épées donnent souvent un carton.

Les douze épisodes de la série sont donc portés par une action continue et des flashbacks mystérieux qui poussent plus ou moins à aller voir la suite, histoire de voir si on peut démêler tout le merdier. Au delà de notre couple de choc et de leurs grand-ennemi-immortel-tout-puissant, il y a une sacré liste de second couteaux. Ils ne sont pas tous traités en profondeur mais suffisent à rendre le scénario encore plus passionnant, et à vrai dire, cela rejoint le thème principal de cet anime : la vie. On ne connait jamais complètement quelqu’un, à par accessoirement soi-même (et encore), et l’anime nous le montre bien, ou plutôt cache tout pour le faire comprendre. Pour un personnage comme Kuon, le spectateur avertis sait d’avance qu’il va jouer un rôle majeur vu à quel point il est mystérieux ; mais le génial Karuta est juste une parfaite représentation du thème. Il laisse échapper deux trois bribes sur son passé, et c’est bien tout. Bon gré mal gré, il faudra pourtant que Kuro lui fasse confiance afin de pouvoir avancer dans la quête désespérée de son amour perdu.

Et puis vient l’épisode de fin, celui pourquoi j’ai mangé mes chaussures, pourquoi ce texte porte un titre un peu étrange mais qui devrait rappeler des souvenirs aux amoureux de la BD franco-belge.

En Asie, le bouddhisme est une religion très répandue, au japon comme ailleurs. Elle se base sur des cycles de réincarnations régit par le Karma. Un Homme va donc vivre ces vies les unes après les autres, cherchant constamment à “améliorer” son Karma afin d’atteindre l’état d’illumination et sortir du cycle, afin d’approcher Bouddha. La fin de l’épisode nous montre donc un autre futur possible, un autre temps qui aurait pu se produire, mais toujours avec les mêmes personnages et, peu ou prou, la même histoire.

Mais la toute fin de l’épisode est souvent mal comprise, et c’est cela qui amène à une certaine déception. Nous revoyons simplement les premières minutes du premier épisode, avec en conclusion un dezoom sur le lieu ou se trouve Kuro et Benkei, cerné par des “zones” que j’apparenterais aux futurs possibles. Kuro est dans un lieu circulaire, avec à chaque sortie (autant dire, une infinité) un futur différent. Vous voyez le lien je suppose ?

Là ou cela m’a fait sacrément mal au cul, c’est que j’ai directement pensé à L’Incal.

L’incal, c’est une bande dessiné en six tomes. Réalisé par Moebius/Jean Giraud et scénarisé par Alejandro Jodorowsky (le chilien adepte de mystique et de champignons bizarres), il raconte les aventures de John Difool (oui, c’est de là que vient le surnom de l’animateur de Skyrock, étant donné que John D. est un sacré pervers), un loser absolu. Vivant sa petite vie de loser sur une planète ville complètement corrompue, il va arriver à mettre la main sur L’Incal. Source de puissance démesurée, supercalculateur du futur, techno-divinité, l’Incal est tout ça, et plus encore. La fin est totalement ouverte, et cela doit être la première fois que j’ai été autant gâché par une fin. Au moins cela m’aura armé pour Evangelion. En effet, après des tonnes de péripéties toutes plus délirantes les une que les autres, John Difool traverse le temps et l’espace et amène l’Incal à “Dieu”. De là, on comprend qu’il est lui aussi dans un cycle karmique sans fin (la chute de suicide alley, magnifique métaphore). Sauf qu’il se souvient.

Là ou Kuro oublie constamment son passé, jusqu’à boucler la boucle et recommencer son histoire, Difool arrive à se souvenir et à sortir du cercle pernicieux de sa vie, de la vie.

Je ne sais absolument pas si l’équipe de réalisation de Kurozuka s’est inspiré des travaux de Moebius/Jodorowsky, bien que le dessinateur soit suffisamment connu pour avoir eu une expo doublée avec Miyazaki ou participé au Chara-design d’un jeu, mais en tout cas les thèmes sont très proches.

Est ce à dire que l’amour amène à l’oubli de ce qui est réel ? Je ne sais pas, mais en tout cas, autant d’amour cerné par autant de gerbes de sang, c’est plaisant.

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