L’ellipse animée.

En rhétorique, l’ellipse est une figure de style relativement connue du public. Tout d’abord employée pour le coté purement sémantique de la chose (éviter les répétitions, donner du rythme à un texte), elle s’est étendu depuis le début du siècle dernier à un art jeune mais bien connu, le cinéma. En oubliant les vieilles conventions du théâtre (unité de temps, de lieu et d’action (tiens une ellipse)), le cinéma a puisé dans l’ellipse tout ce qui pouvait lui donner du charme et de la puissance visuelle. Accélérer ou ralentir le temps, des actions identiques à des moments différents, ou l’inverse, l’ellipse gagnait de plus en plus de terrain au niveau purement visuel.

Mais comme ce qui nous intéresse ici avant tout est l’animation, nous allons voir un peu en quoi elle est utile pour ce médium. D’autant plus que le terme d’ellipse-animée n’existe pas vraiment, il s’agit d’un barbarisme que j’emploie à mes heures perdues. (Watch out for spoil, chers lecteurs).

Addendum du 9 mai : Vu que certains m’ont fait part de leur incompréhension du concept que je soulève dans l’article, je rajoute ce petit paragraphe. Pour être clair, je parle ici de tout les procédés mis en place par l’équipe de réalisation pour adresser des messages au spectateur non pas par les dialogues des personnages, mais par l’image même de la série. Aucun rapport avec une quelconque temporalité.

Au service de l’imagerie.


Ah, cela ne sera une surprise pour personne si l’on commence avec un titre aussi connu qu’Evangelion. La symbolique chrétienne, nombre de fois mise en avant quand les fans parlent de leur œuvre fétiche, est trop prégnante et visuelle pour que l’on passe à coté. L’intérêt ici est purement et simplement d’alléger le texte déjà complexe de la série en posant le tout sur l’aspect visuel. Evitant ainsi de longs monologues à coup de citations de la bible ou autres litanies aussi insipides qu’inutiles, l’équipe en charge de la réalisation a préféré donner corps et sens à cet imaginaire par le biais des images même : les fameuses explosions en croix, la mer rouge dans les films, les diverses crucifixions (Lilith, les Eva de série), Tokyo-3 qui s’élève vers le ciel. Dans ce genre de démarche, il n’y a certes aucune volonté d’aider le spectateur a comprendre, mais simplement a proposer un régal visuel qui serait autrement plus lourd si déclamé à tout bout de champs (NB : cela peut quand même marcher si on aime le lourd, voir Hellsing.).

La plupart des séries type « tranche de vie » s’en servent aussi pour planter leur décor. Voir les personnages d’Aria déambuler dans Venise et sortir simplement quelques noms est autrement plus intéressant qu’un documentaire sur la ville et poussera le spectateur consciencieux à aller de lui même se renseigner sur tel monument et son historique.  Les représentations architecturales dans divers films de Miyazaki permettent aussi d’alléger le tout, même si certains y voient une certaine fainéantise narrative, il est plus sympathique de se laisser immerger dans les décors d’un Nausicaä ou d’un Chihiro que de savoir comment le bâtiment untel était construit à une époque révolue de notre monde (et puis les pagodes c’est tro klass).

Ca donne toujours autant envie. Yoeah.

La narration par l’image.


C’est ici que l’on va réellement attaquer le point fort de ce sujet. Concrètement, il est sous entendu que nombre d’anime se servent volontairement de l’image pour expliquer des points au spectateur. Que ce soit purement et simplement comme au cinéma pour donner des indices temporels, ou plus profondément pour marquer certains moments importants, voir même révéler autant que les divers lignes de dialogue, on ne peut que rester pantois devant le faite que beaucoup de séries usent et abusent de ce genre de procédé.

Un exemple qui vient tout de suite à l’esprit est le boulot souvent effectué par Kon Satoshi, et plus particulièrement sur sa série Paranoia Agent. Dans celle ci, nous suivons deux enquêteurs qui cherchent à retrouver un mystérieux agresseur, Shônen Bat (Le garçon  à la batte). Etant donné que le propos est orienté autour des légendes urbaines, ils se sont servit de ces ellipses-animé pour décrire les évolution du personnage. Plus la rumeur enfle, plus Shônen Bat est « fort » et « imposant », et plus ses méfaits se répandent. Au lieu de le décrire en des termes simples, ils se sont servit de ce que le support avait à leur offrir, des images. C’est pour cela que l’on arrive à des scènes hallucinantes ou Shônen Bat et Maromi se retrouvent à combattre au milieu de la ville, faisant la taille des buildings, image de la rumeur contre la vérité tangible (ainsi que de l’inconscient de l’héroine). Le vieil homme qui s’amuse à « écrire » les évènements en formules mathématiques est aussi dans ce cas là, tout comme l’inspecteur qui se change en justicier écoutant les « ondes » (la radio, tout simplement) afin de deviner ou va frapper la Rumeur. Toute la série use et abuse de ce genre de procédés pour amener à une plastique démentielle et irréprochable (voir la « vieille-ville » en fin de série).

Kukuku. Auteur inconnu.

Sautons rapidement sur un genre qui en use très souvent, la science-fiction. Il y a les divers combats entre proxy d’Ergo Proxy, magnifié dans l’épisode 15 du show télévisuel, ou le spectateur est clairement largué en première approche et devra réfléchir par lui même au pourquoi du comment ; les aventures cybernétiques de Lain, ou pourquoi se faire chier à décrire une métaphorisation alors qu’il suffit de la représenter elle même dans un net imagé et trippé ou elle discute avec d’autres personnes (celles ci, ayant moins de « capacité » qu’elle à se représenter sur le Wired, se retrouvent sous la forme de bouches, d’oreilles) ; ce qui renvoi également à l’un des épisodes de la série Ghost In The Shell / Stand Alone Complex ou Kusanagi se ballade sur un forum (ou un channel IRC ?) high-tech, ou chaque intervenant se retrouve avec un « corps-avatar », tous installé devant une table. Il s’agit de pirouettes utiles qui permettent toujours de renforcer le récit et d’éviter de devoir décrire longuement certains lieux ou certains concept qui pourraient s’avérer très lourd au demeurant. Le faite de ne pas lire un livre mais bien de regarder une série, d’autant plus d’animation ce qui permet une grande liberté de délire artistiques et visuels, est parfaitement calibré. Le revers de la médaille étant que si certains concept simples passent très bien, d’autres risquent d’embrouiller les personnes peu familières avec, et il suffit de voir le nombre de gens qui ne pipent toujours pas une goutte à Lain ou BLAME! pour s’en rendre compte.

Citons en vrac Texhnolyze, Pale Cocoon, Kurozuka, Eureka Seven, Casshern Sins, Kaiba ; toutes ses séries jouent grandement sur l’aspect plastique des situations, et amènent toujours leur cohorte de spectateurs mécontents qui ont l’impression qu’on les prend pour des cons. Non, ce n’est pas le but recherché, c’est tout simplement que vous n’avez pas encore toutes les clefs pour que ca vous saute à la gueule. la science fiction existe depuis plus d’un siècle et il n’est pas aisé de se faire à l’idée d’un cyber-monde ou de connections neuronales et autres bizarreries (sans parler des thèmes sociologiques, psychologiques et philosophiques régulièrement traités). Au niveau du cinéma, peu de films se permettent ça et il s’agit souvent de productions bigarrées ou de niche : eXistenZ de David Cronenberg, Mulholland Drive de David Lynch ou encore Brazil de Terry Gilliam en sont de bons exemples.

La megastructure de Nihei. Tiré de son recueil : BLAME! And so on.

Peut on parler d’un « genre » spécifique d’anime ? Je ne pense pas, plutôt un courant (souvent) employé dans les productions de science-fiction ou celles ou l’imagerie est mise en avant plus que tout le reste. Certes, les anime restent du produit de consommation de masse abrutie, mais avec de tels traitements, on commence réellement à toucher à ce qu’on pourrait appeler de l’Art. C’est peut être un peu osé comme point de vue, mais il s’agit d’une conviction intime, à vous de la juger comme vous le voudrez.

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