L’ambivalence des sentiments.

Nana to Kaoru est un manga d’Amazume Ryuta, publié depuis le 4 janvier 2008 dans le périodique japonais Young Animal. Bien que publié seulement au japon, ce manga coquin s’est vu traduit de manière officieuse dans de nombreuses langues, et a depuis acquis un certain succès. Succès principalement dû à une caractérisation des personnages intéressante et un scénario construit et cohérent, deux points qui enrobent ce manga “ecchi” qui traite des sulfureux sujets du bondage et du sado-masochisme.

La belle et la bête. Art officiel.

D’emblée, nous sommes accueillis par des détails qui ne trompent pas : dessin propre, trait maitrisé, présence de background, dialogues supérieurs à la moyenne…Tout cela peut paraitre idiot dit ainsi, mais pour le lecteur averti de mangas pornographiques, on sait déjà qu’on ne joue pas dans la même cour. L’auteur affiche sans vergogne le caractère outrageux de l’œuvre et nous livre un pur produit érotique, au sens noble du terme.  S’affranchissant de tous repères spatio-temporels particuliers (pas de lieu nommé, pas de date de calendrier précise), on peut situer l’action n’importe où, à une époque certes globalement contemporaine, mais un simple changement d’environnement suffirait à la transposer n’importe où ailleurs sans casser l’œuvre en elle-même.

Ce qui va alors parler au lecteur, ce sont les personnages.

Nana est une jeune fille bien sous tous rapports. Très bonne en classe, en sport, toujours polie et bien habillée, dotée d’une grande beauté et d’une intelligence qu’on nous décrit comme perspicace. Cependant, on se rend vite compte que, intérieurement, cette jeune demoiselle souffre profondément de son statut de madame parfaite, obligée de garder son maintien en toute circonstance, de n’avoir jamais le temps de souffler. Ce terme est assez important dans le sens où elle nommera “Breathers” (que l’on pourrait traduire par “Respirations” ) les moments qu’elle passera avec Kaoru. Ces Respirations sont littéralement le fil rouge de l’intrigue.

D’aucuns un peu puritains oseraient dire qu’en ayant gouté au fruit défendu, elle ne peut s’empêcher de continuer. J’aimerais plutôt souligner le fait qu’elle trouve un support personnel afin de contrebalancer le stress quotidien. Après tout, certains vont bien courir à cinq heures du matin dans le froid hivernal (ce que je trouve, à titre personnel, très con). Sous le vernis de la femme parfaite, désirable et désirée, se cache donc une jeune adulte peu sûre d’elle, obligée de se masquer réellement aux yeux du monde afin de ressembler à une vision précise de la femme (ici la femme japonaise). Et oui, il s’agit bien de la femme, alors que l’on pourrait s’attendre à voir un homme dans cette situation de tout parfait ( ?) (travail à l’école, puis boulot, prestance et présence). Le fait qu’elle cherche à cacher son attirance pour le SM, comme un secret honteux dont nul ne devrait percer le jour, renvoie encore à cette idée de masque social.

Si quelqu’un me trouve une image de Kaoru, qu’il fasse signe. Bandes de pervers. Art officiel.

Kaoru est un jeune homme pas terrible sous tous rapports. Petit, moche, peu habile en cours, ne possédant pas de talent particulier. Il est la bête noire de son lycée, ne possédant que peu d’amis et absolument aucune “amie”. Il est reconnu pour son coté notablement pervers, ce qui, il faut le dire, n’est pas forcément la meilleure des positions sociales. Nana et lui se connaissent depuis longtemps, depuis leur toute petite enfance pour être exact. Et malgré ce lien ténu, les années les ont de plus en plus séparés, ainsi que leurs nouveaux statuts “sociaux” en milieu scolaire. Kaoru ne peut plus approcher Nana sans être la cible immédiate de quolibets violents et Nana ne le voit plus vraiment afin de conserver son statut social si chèrement payé de sa personne interne.

La grande passion de Kaoru, c’est le SM. Il lit des magazines sur le sujet, des livres de maitres à penser en la matière et possède une collection d’objets relatifs dont il prend d’ailleurs grand soin. Il s’agit d’une véritable passion dévorante, lui occupant souvent l’esprit et prenant nombre d’heures sur son temps libre. En tant que passionné, et sachant que nous lisons un manga, il serait facile de tracer un parallèle Kaoru -> anime-fan. Chose que je ne ferai pourtant pas, sa passion en valant bien une autre (observons un philatéliste…). Ceci dit, même s’il ne l’étale pas forcément aux yeux du monde, il ne s’en cache pas spécialement, acceptant bon gré mal gré son statut d’être “à part”, ou au minimum légèrement en dehors de la norme.

Leur relation va donc débuter par un malencontreux quiproquo, qui va avoir deux conséquences notables : le retour de leur relation, et l’ambivalence de leurs sentiments. C’est un point qui me semble assez fantastique à citer en regard de cette série. Nos deux jeunes personnages jouent concrètement avec le feu. Déjà par leur relation sadomasochiste qui se met petit à petit en place, où Kaoru grimpe lentement la pente du maitre pendant que Nana descend dans la soumission, mais également par leurs non-dits. Kaoru aime Nana, éperdument, et on s’en rend compte très vite. Tout l’intérêt du personnage revient alors à voir s’il va tenir bon, mentalement parlant : ayant enfin pu accéder à son vœu le plus cher (à savoir, le SM), arrivera-t-il à garder le contrôle sur ses propres pulsions, sachant qu’il ne veut pas non plus décevoir Nana et surtout pas briser une relation qu’il ne voit que par la spectre du SM, de dominant/dominé et ce, malgré son attachement ?

Il est toujours bien placé ce coquin de Kaoru ! Art officiel.

Nana, pour sa part, s’en donne à cœur joie avec ses Respirations, devenant de plus en plus en demande, que ce soit en nombre ou par le côté toujours plus hard. Elle redécouvre son ami d’enfance par la même occasion, à travers sa passion et à quel point il peut être précis, adroit et intelligent concernant un sujet qui l’intéresse vraiment. Nous pouvons dire, sans trop s’avancer, qu’elle commence également à développer un attachement durable, non pas à leurs séances en soi, mais à la présence de Kaoru, à leurs moments privés connus d’eux seuls. On pourrait facilement parler du syndrome de Stockholm à son égard, mais le terme serait peut-être un peu fort. Encore que… le sujet traite tout de même de quelque chose de très fort, physiquement comme mentalement (et sur ce point précis, je regrette mon absence de connaissance réelle du SM).

Toujours est-il que, de son côté, des sentiments se développent également, de manière fine et bien amenée. Elle en vient à se poser des questions sur une possible relation plus intime. Pour elle, au commencement, ces Respirations ne sont qu’une manière de se déstresser, mais arrive peu à peu le côté relationnel de la chose, surtout en voyant un homme fort, dominant, qui lui permet de s’épanouir complètement. Et si Kaoru, malgré son apparence physique somme toute moyenne et son statut social bas, était fait pour elle ? Il est vraiment intéressant de voir à quel point l’auteur s’amuse à développer cette double relation, l’une établie mais secrète (le SM), l’autre remplie de non-dits mais qui devrait pourtant, d’un point de vue normatif, être ouverte (la relation amoureuse).

Tout le manga tourne autour de cette dualité visible/secret pour les personnages comme pour leur relations, et ce choix n’est pas fortuit ni gratuit en regard du thème traité. En somme, un ouvrage érotique, bien construit et qui ne prend pas son public pour une andouille, que demander de plus ?

2 Responses to “L’ambivalence des sentiments.”

  1. Gemini dit :

    Excellent article ; j’avais vu la première OAV, et j’avais bien aimé. Oui, je sais, j’ai été vilain, punis-moi maitresse !!!

    Par contre, un petit rappel du synopsis – ou comment Nana a été amenée à découvrir par le SM – aurait été le bienvenu. Tu le mentionnes en filigrane dans ton billet comme si tu l’avais déjà expliqué au début, mais ce n’est pas le cas.

  2. Aer dit :

    C’est voulu que je ne mentionne pas le synopsis. Déjà y’a l’article de Tata, ensuite ça n’est pas le but ici.