Androide + mouton = blabla.

C’est à la suite d’une discussion avec l’ami Tetho que m’est venu l’envie de faire une, comment dire… explication ? Un texte, en tout cas, sur Machine qui rêve, et sur pourquoi cette Bande Dessinée est un petit bijou du Neuvième Art. Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas lu, je vous conseille vraiment vivement de ne pas poursuivre l’article, tant ca va déclamer dessus à vitesse grand V, que ce soit au niveau de l’histoire ou de sa réalisation générale. Pour les autres, assurez vous d’être bien vous même avant de le lire.

Quarante-sixième tome de la longue saga des aventures de Spirou (et Fantasio !), Machine qui rêve marque un drôle de tournant. Drôle vu qu’il aura certes marqué les esprits, mais pas enclenché ce pour quoi ces auteurs l’ont conçu. Créé par Rob-Vel en 1938, Spirou est notre jeune premier aventureux, vivant de découvertes aux quatre coins du globe, voir plus loin durant certaines histoires clairement typé SF. Rapidement rejoint par le petit Spip, puis par Fantasio (idée que l’on doit à Jijé), jusqu’a finalement atteindre la forme la plus connue du grand public, sous les crayons de Franquin. Véritable pierre de fondation, Franquin développe grandement le personnage, amenant des ennemis récurrents à notre duo (Zorglub, Zantafio entre autre), des soutiens tout aussi importants (comme le Comte de Champignac ou Seccotine), et, finalement, en amenant des histoires plus sérieuses. Espionnage, guerre, drogue, écologie, chasse, sport etc, tout y passe ou presque.

Spirou en groom et son fidèle compagnon Spip. Par Jean-Richard Geurts.

Après le départ de Franquin aux commandes de la série, plusieurs groupes d’auteurs reprennent le travail, à commencer par Fournier qui va lui aussi passer à l’actualisation du personnage vis à vis de l’époque. Nous sommes en 70, et Spirou quitte de plus en plus ces vieux habits de groom pour des vêtements plus communs. Les histoires vont globalement plus loin, même si leur rythme est un peu en deçà, surtout avec l’apparition quasi constante de l’organisation du Triangle, qui n’aura pas fini de faire pleurer du sang aux lecteurs. C’est aussi le moment ou la série plonge totalement dans l’écologie, parfois avec brio, d’autres fois de manière décevante (Noémie ~~). S’ensuit quelques années sombres, ballotté entre le pauvre Chaland (du faite de ses déboires vis à vis de la maison d’édition) et les peu inspirés Nic & Cauvin (en même temps, un mix entre Spirou et Snorky ne pouvait pas donner grand chose de fantastique), qui proposeront quelques albums, tout au plus.

En 1984, Dupuis décide de confier la série à deux jeunes auteurs de talent que l’on ne présente plus, Tome & Janry. Ils apportent directement un vent de fraicheur, avec un détartrage complet des personnages. Nouveau langage, nouveaux vêtements, de l’humour omniprésent et très bien sentis, tout en gardant toujours sous le coude les vieux trucs de l’ancienne époque, au cas ou. Spirou et Fantasio flirtent de plus en plus avec le danger, dans des histoires mi-fantastiques mi-SF, avec nombre d’hommages cachés (Le village des Damnés dans Qui arrêtera Cyanure, Le Parrain avec Spirou a New York…).  En phase avec leur époque, Tome & Janry font très très lentement glisser les personnages vers une relation finalement plus saine, plus mature et beaucoup plus réaliste que ce que l’on voyait avant. Des épisodes sérieux comme La frousse aux trousses/La vallée des Bannis ou Luna Fatale se voient entrecoupés de certains plus humoristiques (un humour parfois Noir, si vous voyez ce que je veux dire). En 1998, pour fêter les 60 ans du personnage, ils décident pourtant de porter un coup de massue en modifiant en profondeur le saint monolithe.

La couverture de Machine qui rêve. Fond noir, bleu nuit/violet glauque pour le héros, on change clairement de registre.

Première claque, les graphismes. On le voit d’emblée sur la couverture, nos héros ont pris un coup de vieux. Passant du jeunot de 20 ans à une trentaine bien sentie (voir peut être un peu plus, il n’y aura pas plus d’informations la dessus, comme toujours), Spirou et Fantasio ont grandit, ont acquis de la maturité, ce qui s’inscrit dans l’air du temps de la BD Franco-Belge (Blueberry, La Quête, Corto Maltèse). Suivant grandement les traces de leurs ainés avec une histoire simple et carré lorgnant sur un vent de SF toujours propre à la série, ils réactualisent le genre en proposant un contenu plus ciblé, vers les ado/adulte. A l’intérieur, les pages sont toutes imprimées en noir (sauf la dernière, marquant le coup du finish plus tranquille et brillant de l’alter ego), apposant une marque sombre sur l’album. Le coloriage est lui aussi bien fignolé, alternance de couleurs noirs/ocres et des teintes bleus nuits. Les rares scènes de jour ont une petite odeur d’ancien temps, comme pour renforcer le décalage avec ce que sera cette machine qui rêve d’être un humain, ce héros de papier qui le restera indéfiniment. En clair, on est pas la pour rigoler, pour une fois. Délaissant le coté humoristique au profit d’un réalisme quasi total (quasi car il reste quelques traces, entre les piques des deux héros, les talents incroyables de Seccotine à la conduite ou le flic qui brise allègrement le quatrième mur), afin de faire passer leur message, les auteurs nous montrent donc Spirou en lutte contre une industrie pharmaceutique qui s’amuse à créer des clones d’êtres humains. Rien que ca.

Le découpage est parfait, des gros plans en de-zoom ou zoom jalonnant le tome (le speaker ténébreux, les lunettes de Spirou/Clone). Quelques rapides aller-retour temporels marquent aussi le coup, mettant en parallèle les souvenirs épars suite à “l’opération” du Clone. L’ambiance reste bien pâteuse, avec notre héros constamment en fuite, sous une pluie battante. Il se nourrit de déchets et saigne franchement, pour rappeler sa condition et la panade dans laquelle il est. Les scènes d’action sont nerveuses, et n’hésites pas à faire parler les armes à feu. Le graphisme général est extrêmement léché, les dessins maitrisés, montrant une fois encore tout le talent de Janry, et le cadrage quasi cinématographique renforce le coté réaliste. Tout tourne donc vers un renouveau complet de la série, à tout les niveaux. Le poing est laché dans la face des fans, Spirou a pris de l’age, vous aussi, et il va falloir s’en rendre compte. A partir de là, Tome & Janry prévoyaient véritablement un tournant décisif dans la saga. Magnifié d’ailleurs par la dernière page, ou l’on voit le spirou choisi par Seccotine/Sophie arborer le pantalon de groom et partir vers sa propre vie, pendant que le Spirou new age se prépare à continuer sa route de célibataire avec Fantasio et Spip, dans un style très actuel (après avoir tout fait péter et sortit de son déguisement d’homme de main).

D’un coté, on a donc la volonté de nos deux auteurs à proposer quelque chose de nouveau, tout en restant fermement accroché à la série. Modifications profondes, mais déjà amorcées auparavant, personnages plus vieux, mais gardant quelques vieilles habitudes. Le terrain reste balisé pour ne pas trop perdre les gens non plus. On sent, à la lecture du tome, toute la passion qu’ils portaient à la série, et leur volonté d’aller plus loin n’est pas qu’une simple tentative de buzz, mais bien une déclaration d’amour vibrante à Spirou et ce qu’il représente depuis tant d’années. A la foi hommage, amorce et une œuvre construite se tenant de bouts en bouts, il ne manquera qu’une seule chose à Machine qui rêve pour être parfaite : une continuité.

5 Responses to “Androide + mouton = blabla.”

  1. Gemini dit :

    A l’époque de sa sortie, je n’avais pas du tout apprécié Machine qui Rêve, à cause de son parti-pris graphique qui change franchement de ce à quoi Tome & Janry nous avaient habitué ; plus tard, j’ai redécouvert l’album, et ça a effectivement été une claque.
    Pour moi, il s’agit avant tout du dernier baroud d’honneur des deux compères sur la série, puisqu’ils doivent alors la quitter après ce volume ; une bonne occasion de se lâcher dans une histoire plus personnelle et choquante, tout comme le feront plus tard d’autres auteurs sur le très bon Aux Sources du Z (même si cet album divise encore plus les lecteurs).

  2. Corti dit :

    Il me semble l’avoir lu il y a trèèèèèèèèèèèès longtemps. Si longtemps que je ne m’en souviens plus. Faudrait que je le rezieute à l’occasion.

  3. Aer dit :

    Problème réglé avec classe et intelligence.

  4. Amo dit :

    Oh yeah article de qualité. J’avais lu l’album quand j’avais onze ou douze ans, je me souviens plus exactement, mais je me souviens avoir vu ou entendu à la télé deux ou trois polémiques vis à vis de cet album, ce qui faisait qu’avant même de l’emprunter à la bibliothèque (tin j’ai du leur lire toutes leurs bd sans jamais en avoir mémoriser une seule plus d’un an, pff) je savais plus où moins le coté “symbolique” de cet album, que j’ai plus où moins oublié.

    Pour être franc, des mêmes Tome & Janry j’ai un souvenir beaucoup plus marquant du génial Spirou & Fantasio à Moscou, avec leur Lénine transformable ! Mais cet article me donne franchement envie de rejetter un oeil à la machine qui rêve, où comment partir en lâchant tout ce qu’on a !

  5. Clems05 dit :

    Bon petit article sur un album décidément génial.
    Pareil j’ai l’ai lu a la sortie tout mino et il m’avais déjà foutu une claque de par l’univers auquel j’étais habitué, le graphisme … mais ca restait une simple bd pour moi.
    Et puis ma culture bd s’étoffant, et les année passant, m’ont fait redécouvrir cet album sous un autre jour. Je ne peux m’empêcher le comparer à la série SODA.

    Ca aurait été sympa de voir d’autre album de ce type, mais cela laisse un certain panache a ces deux auteurs :D